Lettre d’Isabelle 112 – au Bénin
Je reviens du Bénin, ce furent mes vacances d’été. Intenses.
Avec beaucoup d’eau sous les nuages à la fin de l’hivernage.
Un ciel bas. Une terre rouge et de grands arbres, Iroko, Baobabs, Fromagers. Une histoire chargée du sang des esclaves et d’une colonisation outrancière. La Terre aussi a donné son sang.
La religion de base est le vaudou, le christianisme l'a recouvert, catholicisme et église évangéliste.
Les musulmans modérés sont nombreux, les djihadistes commencent à entrer en force au nord à la frontière qui jouxte le Burkina Faso déjà occupé.
Un pays en forme de guitare à l’envers, bordé par les lames de l’océan au sud où se trouve Cotonou la capitale, les lagunes, les palmiers et les buffles. Au nord, les Tata Sambas, maisons rondes en terre, modulent le paysage, et la savane offre son refuge aux grands animaux : lions, singes, gazelles et éléphants. Toujours au nord, le grand parc animalier Pendjari est aujourd’hui encore fermé depuis l’enlèvement de touristes blancs il y a 2-3 ans.
Et la région du nord s’inquiète et se vide quand celle du sud se construit, sous l’impulsion de son nouveau président Patrice Talon, aidée par les entreprises chinoises pour l’ouvrir à un tourisme florissant…
Partout mélange de douceur et de rudesse.
Colonialiste encore dans le ton, terriblement hiérarchique et fonctionnaire, épouvantablement patriarcale. La violence est tapie derrière la chaleur humaine. On tape encore les enfants, on mutile les femmes (même si les lois l’interdisent aujourd’hui), on donne des ordres, hausse le ton et on humilie facilement. Mais la terre est si belle et si rouge est son cœur.
Pas facile pour moi de comprendre ce qui se passe, je prends connaissance pour la première fois de tous ces éléments déversés en vrac les uns après les autres comme une mousson au cours de notre voyage.
Au Bénin à Porto Novo j’ai rejoint Marie-Line qui a organisé ce tour, parcours touristique, amical et professionnel. Elle est adhérente des Nouveaux Mondes et nous étions en correspondance depuis plus d'un an. Marie-Line est multi-talentueuse et a de nombreuses casquettes professionnelles: opticienne, elle propose bénévolement des examens de vue dans les écoles, accompagnée par des ophtalmos/ entrepreneuse et artisan.e, elle a lancé une fabrique de savons naturels à base de karité enrichis d’huiles essentielles, nous en faisions la tournée de présentation auprès des hôtels et commerces lors de notre circuit/ cuisinière, elle fait des confitures délicieuses et des desserts succulents qu’elle propose à la vente ici et là/ accueillante, elle propose des chambres en B&B/ écrivain.e, elle vient de finir son premier livre que j’ai corrigé avec elle les derniers jours (très prometteur)/ Et surtout elle s’est lancée à bras le corps dans sa nouvelle vie en Afrique depuis 3 ans : une re naissance…Admiration.
Le voyage a été très riche en rencontres humaines. De l’intronisation d’un roi qui nous a reçues en privé, de l’adoption de la famille Gbaguidi Zoundegla à Savalou, à la vie d’un chauffeur, d’une femme de ménage (on n'est jamais seul.e en Afrique tout le monde s’affaire auprès d’une yovo (une blanche) qui peut payer les services rendus), ou d’une jeune femme Nadeige (sortie de justesse par Nicole une française exceptionnelle, d’un mariage forcé à 12 ans avec à la suite violence conjugale continue) à Natitingou, en passant par un directeur d’hôpital et sa femme fraichement débarqués de Bretagne tout décontenancés de vivre si difficilement l’Afrique un brin djihadiste à Djougou, jusqu’à la rencontre à Abomey d’une auteure spécialiste du vaudou haïtien qui ne peut rejoindre sa maison en Haïti en pleine révolte* et celle fortuite encore d’un méditant béninois à la recherche de l’éveil ayant fait l’Inde et le Népal !
J’ai adoré cette courte et dernière rencontre que j’ai vécu comme un diamant au fond de mon cœur. Il nous a expliqué qu’il avait fait une retraite dans la jungle il y a longtemps, en restant 3 semaines sans boire ni manger mais que la situation avait tellement inquiété tout le monde, ses parents, ses proches et les villageois du coin, qu’il en était sorti, avait repris une vie quotidienne, avait voyagé, vécu en Italie à Milan des années durant, mais que là, on ne l’y reprendrait plus, il est déterminé, il quitte tout, n’emporte rien et restera sans bouger pour se réaliser : « il y a tout en nous, tout est à l’intérieur, dedans , je n’ai plus rien à chercher dehors ». Il prépare donc son installation à 8 kms du village, a demandé les autorisations cette fois pour ne pas être dérangé, aura des aides qui viendront lui apporter un peu de nourriture au début. « Je ne bougerai pas sans avoir réalisé le soi. »
Il n’a pas prévenu ses parents qu’il était revenu d’Europe pour ne pas tenter quiconque de l’arrêter dans sa démarche de retraite définitive.
Quel bonheur nous avons eu à échanger avec lui, sur l’histoire du Bouddha Shakyamouni, qui 2500 ans avant lui et comme lui, avait décidé de ne pas bouger s’il ne s’éveillait pas ! Et qui a réussi, en comprenant comme notre ami, qu’il fallait préférer la voie du milieu à celle d’un ascétisme forcené pour atteindre l’éveil. Cet ami Bouddha s’appelle Sinimbou Job Godfils ! Et en tant que fils de dieu il fait le job ! Chapeau !
Je me suis demandée pourquoi j’avais rencontré cet être intense au beau milieu de notre séjour au Bénin alors que je fréquente ce milieu de quêteurs de sens depuis 35 ans sans avoir jamais rencontré en Europe ou en Inde une telle détermination ! Peut-être pour me dire qu’en Afrique comme partout, tout est possible !? Pour me le rappeler fermement? Que je n’en perde jamais la vision essentielle ?
Je l’ai entendu comme ça. J’avais fait ce voeu un jour et ne l’avais pas tenu…
* Mireille Aïn « Cinq tambours pour deux serpents »
MUSIQUE
ANGELIQUE KIDJO
Chanteuse franco-béninoise 5 fois lauréate des Grammy Awards
Mother NATURE (with Sting)
Do yourself