Lettre d’Isabelle 145 – Paul Auster
Samia arrive chez moi et s’écrit tout de suite d’un air profondément inspiré devant la pile de livres mal rangée de la bibliothèque d’entrée : - Paul Auster, mon écrivain préféré.
La trilogie new-yorkaise nous fait face comme une évidence, exactement au milieu de la première étagère du haut. Je le remarque en même temps qu’elle, stupéfaite. Pourquoi stupéfaite ? Je connais tellement son nom mais l’ai-je seulement lu ? Ma mémoire file comme une fusée dans la stratosphère et je ne sais plus. Je ne me souviens pas. Il a même l’air presque neuf.
Trois jours plus tard j’apprends la mort de l’écrivain sur les réseaux et je tire le livre de la bibliothèque. Puis je le dépose précieusement au bas de mon lit envisageant une prochaine lecture de nuit. Puis je le ressors le lendemain matin et le mets en bonne place sur la table basse du salon pour que je ne l’oublie pas, je ne l’ai pas ouvert. Je le sers contre moi le surlendemain et le hisse à nouveau en haut de la pile à côté de mon lit. Le manège va durer quelques jours où je tente de le mettre sous mes yeux de part et d’autre de la maison pour ne pas l’oublier. Mais j’ai 2 autres livres à finir avant et n’y arrive pas. D’autant qu’en ce moment je ne finis aucun livre, sauf quand le suspense me prend au corps, que l’aventure est palpitante et que l’œuvre me tire jusqu’au bout.
Cette fois c’est la bonne. Je me suis réveillée à 5heures, ai sorti mes péchas tibétains, récité avec ferveur mes pratiques rituelles et j’ai tout mon temps.
Il est 7 h. Cité de verre. Le choc est total. Le vertige est tel que je souris en même temps que je grimace dès les premières pages. Un vrai auteur. Mes yeux accrochent ses mots comme s’ils retrouvaient la vision. Je les écarquille en lisant. Je souris de délice et mon admiration est sans borne. Je découvre un monologue si inattendu que j’en ai une légère nausée et j’ai hâte de poursuivre ces tribulations imaginaires ou vraies de qui est qui ? Si vivantes et si intenses. La plongée est fulgurante.
Je découvre fugitivement une coche à une page. J’avais dû commencer à le lire et m’étais arrêtée. Mais ma pensée est extrêmement brève car je suis prise complètement dans cette histoire de contre plongée où le nom de l’auteur se trouve enchâssé dans la vie d’un autre personnage. Un enfilement, un emboîtement comme dans les poupées russes. Le rythme, la densité et l’art de ces mots me foudroient. C’est le vertige d’une profondeur. Alors je plonge.
Avec déraison.
J’ai rendez-vous il faut que je me lève. Je ferme le livre et coche la page 78. Je me prépare une boisson au thym, prends une douche, me chauffe un chocolat cru avec du curcuma, de la cannelle, du gingembre, du coco et du poivre. Je tourne autour de la cuisine sans m’asseoir et n’hésite plus : je sors du placard le suprême de Cornouille acheté dans les Alpes de haute-Provence et me tartine un morceau de pain avec en première couche de la tapenade verte et dessus le suprême de cornouille.
C’est l’effet Paul Auster.
Un délice. Un matin.
Irrémédiablement nouveau.

MUSIQUE
Bobbie Gentry – Ode to Billie Joe (1967)
Belle fin de semaine à toutes et tous
Isabelle
Rappel de nos programmes
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« Passagère de l’invisible- Voyage d’une conscience au Coeur de l’Infini »