Lettre d’Isabelle 150 – Bouquets d’été
Il y a quelques fois des lectures si bouleversantes, si profondes et si vraies que la seule chose qui me vient naturellement à l’esprit est de vous les partager.
Voici les sujets qui sont venus jusqu’à moi ces derniers temps et m’ont interpellée.
Des bouquets d’été
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La vie n'est supportable que si l'on y introduit non pas de l'utopie mais de la poésie, c'est à dire de l'intensité, de la fête, de la joie, de la communion, du bonheur et de l'amour.
Edgar Morin (103 ans) «Vers l'abîme».
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S’asseoir au milieu du désastre et devenir témoin...
Après avoir traversé une existence très préservée, très occupée à éviter les naufrages, toute cette adresse à passer entre les catastrophes, entre les blessures... Et subitement, après quinze ans de mariage, l’arrivée d’une autre femme, l’arrivée dans une existence préservée d’un autre être, qui du jour au lendemain détruit l’univers que vous vous étiez construit.
Et la traversée, pendant deux ans, trois ans, de la solitude, de l’abandon, dans un pays étranger, dans un village au bout du monde. Et la rencontre du travail de Dürkheim et d’une remarquable femme, son élève.
Alors que j’attendais d’elle qu’elle me donne la force de faire mes bagages et de partir avec mes fils, elle m’a dit : "Tu restes là, assise au milieu du désastre, là."
Tout le travail que j’ai fait par la suite avec le corps, avec la présence au monde, aux choses, cette leçon, non seulement d’accepter l’inacceptable, mais d’y entrer, d’y établir ses pénates, entrer dans le désastre, à l’intérieur, et y rester, y rester ! Non pas fuir, mais oser rester, à l’endroit où je suis interpellée, à cet endroit où tombent tous les masques, où tout ce que je n’aurais jamais pu croire s’avérer être en moi, tous les démons, toute l’ombre. Les paroles éclatent et tous les démons déferlent dans la vie : la jalousie, l’envie de meurtre, l’autodestruction. Et je reste là et je regarde...
Nous connaissons dans notre Occident deux voies quand nous sommes dans un état d’étouffement, d’étranglement. L’une c’est le défoulement : c’est crier, c’est exprimer ce qui était jusqu’alors rentré. Il y a de nombreuses formes de thérapies sur ce modèle et c’est probablement, en son lieu et place, quelque chose de très précieux, pour faire déborder le trop plein. Mais au fond, toute l’industrie audiovisuelle, cinématographique, est fondée sur ce défoulement, cette espèce d’éclatement de toute l’horreur, de tout le désespoir rentré, qui en fait le prolonge et le multiplie à l’infini.
L’autre réponse, c’est le refoulement : avaler des couleuvres, et devenir lentement ce nid de serpents sur deux pattes, avec tout ce que ces vipères et couleuvres avalées ont d’effet destructif sur le corps et l’âme.
Et le troisième modèle qui nous vient d’Extrême-Orient et qu’incarnait Dürckheim : s’asseoir au milieu du désastre, et devenir témoin, réveiller en soi cet allié qui n’est autre que le noyau divin en nous.
J’ai rencontré voilà quatre jours, en faisant une conférence à Vienne, une femme. Et c’est une belle histoire qu’elle m’a racontée qui exprime cela à la perfection. Elle me disait à la perte de son unique enfant, avoir été ravagée de larmes et de désespoir, et un jour, elle s’est placée devant un miroir et a regardé ce visage brûlé de larmes, et elle a dit : "Voilà le visage ravagé d’une femme qui a perdu son enfant unique", et à cet instant, dans cette fissure, cette seconde de non-identification, où un être sort d’un millimètre de son désastre et le regarde, s’est engouffrée la grâce.
Dans un instant, dans une espèce de joie indescriptible, elle a su : "Mais nous ne sommes pas séparés", et avec cette certitude, le déferlement d’une joie indescriptible qu’exprimait encore son visage. C’était une femme rayonnante de cette plénitude et de cette présence qu’engendre la traversée du désastre.
Il existe, paraît-il, dans un maelström, un point où rien ne bouge : se tenir là ! Ou encore, pour prendre une autre image : dans la roue d’un chariot emballé, il y a un point du moyeu qui ne bouge pas. Ce point, trouver ce point. Et si un seul instant, j’ai trouvé ce point, ma vie bascule, dans la perspective de la grande vie derrière la petite vie, de l’écroulement des paravents, de l’écroulement des représentations. Un instant, voir cette perspective agrandie...
Christiane Singer
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« Tant qu'il y a la moindre attente, vous êtes toujours déçu, amer. Lorsque vous ne voulez rien, cette douleur-là n'est plus possible. Je suis avec ce qui arrive dans l'instant : la douleur, le deuil, la naissance, l'argent, la pauvreté – je veux ce qui est là, maintenant. Tant qu'il y a une attente, il y a une peur. Tant qu'il y a une peur, on ne peut pas fonctionner.
Dans les prétendues voies spirituelles, il y a une espèce de fantasme de perfectionnement, le fantasme de s'épurer, de comprendre, de s'améliorer, de se changer... Il n'y a rien à atteindre dans la vie.
Ce qui arrive est ici, jamais là bas. Tant que l'on croit le problème hors de soi, on est en train de se raconter une histoire, on ne peut pas écouter. Je ne peux pas sentir et penser à la fois. Cela se fait tout seul. Tôt ou tard, on se rend compte que l'environnement est parfait, que c'est nous qui avons un problème.
Tant que j'ai la fantaisie de prétendre que le monde existe et qu'il me fait souffrir, aucune maturation n'est possible. Je ne connais que ma projection du monde et je ne peux rien connaître d'autre. Je dois avoir l'humilité de reconnaître que c'est ma propre souffrance qui m'est révélée par la situation.
Vous constatez vos propres attentes. Vous ne pouvez pas être sans attentes. Sans attentes voudrait dire que vous vivez une autonomie affective. Vous constatez vos attentes humblement, sans les justifier, sans les critiquer. Au plus vous vivez avec vos attentes sans commentaires, au plus vos attentes vont devenir légères pour vous. Vous n'allez plus attendre d'être sans attentes. Vous n'aurez plus besoin d'être sans attentes. Constatez vos attentes.
Et quand vous vivez clairement vos propres attentes, vous allez voir que les attentes des autres ne vous concernent pas du tout. Chaque être humain a ses propres attentes vis-à-vis du monde. Vous pouvez uniquement les écouter, les respecter. Ça ne vous concerne pas. Vous n'êtes pas là pour répondre aux attentes de votre environnement. Parce que c'est impossible. Mais vous pouvez vivre sciemment avec vos propres attentes. Et ça suffit. Vous allez voir : quand vous écoutez vos attentes, sans commentaires, les attentes des autres vont vous paraître légères.
Vos attentes sont nécessaires, la preuve, elles sont là. Il ne s'agit pas d'être sans attentes, c'est uniquement un concept, c'est des choses spirituelles qui concernent des gens malheureux qui vont le rester.
Uniquement être fonctionnel : vivre avec ce qui est là.
Sans direction spirituelle, sans imaginaire. Vous vivez vos attentes et vous allez voir, vos attentes vont diminuer. Une attente est un imaginaire, et quand vous regardez honnêtement, l'imaginaire quitte sa caractéristique d'imaginaire. Vous allez voir, il n'y a rien à attendre. Parce que ce dont vous avez besoin vous est toujours donné. Et si ça ne vous est pas donné, c'est que vous n'en avez pas besoin.
Il n'y a jamais eu d'attente possible. L'attente est un imaginaire, ça n'existe pas. C'est une pensée, c'est une fuite de l'instant. Mais quand elle est là, c'est que j'ai besoin de l'écouter, de la respecter pour retrouver cette présence. Ce qu'on veut profondément, c'est être tranquille. Et ça les autres ne peuvent pas nous le donner, parce que ça ne se transmet pas.
Au plus vous êtes humble vis-à-vis vos propres attentes, sans l'arrogance de vouloir vous trouver sans attentes, sans l'arrogance de vouloir devenir spirituel et toute cette pathologie, et vivez humblement votre fonctionnement, au plus vous allez voir que les attentes des autres disparaissent... Psychologiquement.
Éric Baret
FILM DOCUMENTAIRE
« Va vers toi »
Belle suggestion estivale et principale
REPLAY ARTE
« Tukdam - Méditer jusqu’à la mort »
MUSIQUE
Un p’tit coucou tellement génial de HK et sa bande
à Avignon la semaine dernière
Très bel été à toutes et tous
Isabelle
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