Lettre d’Isabelle 103 – Carnet de voyage au Sénégal 2
Avec un tempérament naturel accueillant et souriant le Sénégal (15 millions d’habitant) mérite bien son nom de pays de la Terranga (mot wolof). Plus que l’hospitalité, ce mot reflète la solidarité, le respect, l’esprit communautaire, la richesse d’une culture unie, riche de ses multiples ethnies: Wolofs, Lébous, Peuls, Toucouleurs, Sérères, Diolas, Mandingues et Bassaris.
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Si j’ai fait un voyage idyllique au Sénégal, la terranga en bandoulière, il ne faut pas rêver, c’est que je suis privilégiée : française, blanche, riche pour ce pays même si je ne suis pas riche en France, en visite d’amitié bien entourée, sans commune mesure avec la vie au quotidien d’un.e sénégalais.e moyen qui gagne moins de 180 euros par mois, dans un pays où tout est très cher.
Bon nombre de sénégalais très pauvres tentent de fuir en bateau pour rejoindre le mirage européen et se noient en mer sans jamais atteindre la terre promise.
J’ai rencontré en France avant de partir un aide cuisinier -au stage que nous avions organisé- qui s’est enfui du Sénégal, est passé par la Lybie en guerre avant de rejoindre l’Italie, et portait sur lui encore les énormes cicatrices des coups de machettes lybiennes reçues à son passage, dans la grande vulnérabilité de son chemin d’exil.
Près de Dakar quelques jours avant mon arrivée, une toute jeune femme mourrait enceinte de 9 mois avant d’accoucher à l’hôpital. On l’a laissée des heures durant sans assistance en lui refusant une césarienne, par manque d’une signature du médecin responsable du service… Ce qui a créé une manifestation importante dans tout le pays pour toutes les incompétences répétées et la maltraitance des femmes dans les hôpitaux.
Pauvreté, manque de moyens, corruption, culture défavorable aux femmes, polygamie, excisions encore pratiquées malgré l’interdiction etc.
Rien n’est facile et pourtant, comme dans de nombreux pays pauvres, la culture de la solidarité et de l’entraide est là. La générosité et l’accueil toujours présentes.
Une leçon pour nos individualismes forcenés et nos gueules fermées.
J’ai interrogé plusieurs personnes sur place très favorables à la politique du président Macky Sall qui développe les infrastructures du pays.
C’était le ramadan. J’ai adoré échanger avec Mor notre chauffeur à Dakar. Musulman, très pratiquant, il m’a donné des leçons de vie, traduisant à ma demande certains versets du Coran. Avec douceur et ferveur, Il me rappelait la force de la prière, le respect du bien, les milles noms de Dieu récité, la joie procurée par une pratique régulière. Je sentais toute la vibration de son cœur.
J’ai apprécié tous les échanges que j’ai eus avec les uns et les autres, partout, facilités par une langue française extrêmement bien parlée, souvent mieux qu’en France. Même par les plus pauvres qui n’ont pas fréquenté l’école.
J’ai rencontré Cheikh (prononcez Cherr)
en Casamance au petit resort du Cap Sénégal, qui m’a touché le cœur avec son port altier, sa candeur et sa douceur. 48 ans. En parait 30. Il n’a rien, mais toute la musique du vent me dit-il. Il mange quand il peut, pas tous les jours et ne demande rien. C’est en discutant que j’ai compris sa situation. Il lit beaucoup, est assez solitaire mais rejoint souvent ses ami.e.s à la plage. Être ensemble, se retrouver, boire une flag, faire de la musique est leur plus grande richesse. La Terranga.
Il lit beaucoup de livres policiers empruntés à la bibliothèque du resort et dort dans une chambre prêtée par le propriétaire belge (très sympa) en échange de quelques services sur place. Il a les dents toutes pourries et ne peut les faire réparer. Quand je pense qu’avec 500 euros il pourrait presque tout refaire, je me dis que ce n’est pas très cher et qu’ainsi il pourrait enfin séduire une belle sénégalaise, et faire une vie qui rend fier ses parents (son rêve). J’aime sa forme de candeur et de simplicité, son cœur.
Séparé très tôt de sa mère, il l’a retrouvée à 28 ans au Mali peu avant sa mort, après des mois de recherche.
J’ai promis de l’aider. Je me suis dit qu’à la place d’aider une association sur place, je pouvais au moins aider une personne. Ce sera lui.
J’ai un peu honte de n’avoir partagé avec lui qu’un repas, et donné seulement 3 sous, je ne savais pas qu’il n’avait pas de quoi manger à ce moment-là. Nous avons beaucoup parlé et je lui ai offert le livre que je venais de finir qu’il m’a demandé de dédicacer: « L’art de la Joie » de Goliarda Sapienza, un chef d’oeuvre inouï, un vent de liberté et de sensualité infinie à travers l’Italie pré et post fasciste. Le parcours d’une femme exceptionnelle qui s’extraira de la plus grande pauvreté, deviendra maitresse des situations les plus inattendues par la force de son tempérament à la fois libre, sensuel et stratège.
Je me dis que ce n’est peut-être pas un hasard ce livre pour lui.
Voilà, si vous voulez vous associer à ce petit projet d’aide, vous êtes les bienvenu.e.s. Ecrivez-moi par mail avec comme objet : Aider Cheikh.
Nous l’aiderons à refaire ses dents et peut-être lui offrirons-nous une formation lui permettant de travailler ?
L’association parraine déjà depuis des années de manière modeste mais réelle l’école Shantindia à Bodhgaya en Inde, je me dis qu’elle peut bien aider aussi une autre personne qu’elle connait directement, là encore.
Ce pourrait être aussi une manière de me remercier pour ces lettres que j’écris pour vous et que j’espère vous appréciez ?
Si je résume ce court voyage, je dirai qu’il a touché mon cœur et que c’est une porte d’entrée pour d’autres pérégrinations dans cette Afrique que je connais si peu mais que j’ai bien envie de parcourir.
Et puis il y a ce projet merveilleux qui me tient à cœur, né dans la maison d’Ousmane Sow et qui fera l’objet d’une lettre d’ici quelques mois, quand nous l’aurons finalisé.
Que d’idées me sont venues sur cette terre fertile aux possibles ?
Avec vous
De tout cœur
Isabelle
PS/ 2 films à voir à partir de faits réels
et qui donnent espoir : MULLY sur Youtube DOCUMENTAIRE EXCEPTIONNEL
et LE GARCON QUI DOMPTAIT LE VENT sur Netflix FILM FORMIDABLE